GABARIT, MORES ET GEMINATION CONSONANTIQUE EN BARASANA

 

Elsa GOMEZ-IMBERT

ERSS - UMR 5610 Toulouse

 

 

Je voudrais rapprocher trois ordres de faits :

 1. Des processus phonologiques barasana indiquent que le gabarit des

lexèmes et des morphèmes est défini en termes de mores.

 2. On constate par ailleurs que le gabarit standard des racines nominales

et verbales est bimore -- CVCV, CVV, VCV, VV -- où V équivaut à une more.

 3. Lorsque la consonne interne des racines CVCV ou VCV est [-continu], elle

se réalise géminée (voir Colloque Inaugural du GDR à Nice).

Je voudrais me concentrer ensuite sur les façons d¹obtenir la gémination des

consonnes non continues (point 3) :

- Dans les modèles à squelette CV ou XX, le contenu segmental de la consonne

sera associé à deux positions.

- Dans les modèles à mores, où les consonnes n¹ont pas de représentation

comparable à C ou à X, elles deviendront ambisyllabiques et directement

syllabées en coda de la première syllabe et en attaque de la deuxième.

La question se pose alors de savoir si la consonne en coda est morique ou

non (après vous avoir convaincu de la nécessité des mores naturellement

(point 1)). Ne pas lui accorder de poids permet de formuler une

généralisation intéresante à propos du gabarit (point 2) ; lui accorder du

poids morique rend trimore la plupart du lexique, faisant disparaître ainsi

une propriété frappante de la langue.

Un fait plaide cependant pour cette dernière option. Bien qu¹une suite de

voyelles soit finale (CVV, VV), il existe quelques racines CVVCV où la

consonne interne non continue n¹est pas géminée. Ce blocage de la gémination

peut découler du fait que la première syllabe a déjà deux mores, si on

accorde du poids à la consonne en coda.

 


L'observatoire d'oïl au-delà de la diachronie : un espace dialectal à découvrir pour les nouvelles phonologies

 

Jean-Léo Léonard

TyGRe, Syler, Paris 3

 

 Cette communication présentera un certain nombre de phénomènes attestés

 dans les dialectes d'oïl modernes, notamment picard, gallo et poitevin,

 susceptibles d'intéresser les nouvelles phonologies. Notre objectif sera

 donc dans un premier temps de présenter des faits dialectaux dans une

 perspective moins géolinguistique qu'en synchronie polylectale. Cette

 démarche descriptive aura pour but à la fois de susciter l'intérêt pour un

 observatoire dialectal peu connu des phonologues modernes qui travaillent

 sur le français standard ou oral, et de proposer des pistes de recherche.

 Les points retenus pour ce survol empirique concerneront le vocalisme :

 

 - systèmes d'alternances prosodique des noyaux simples et complexes

 (voyelles longues et diphtongues, semi-diphtongues) : alternances

 atone/tonique et répartition des traits secondaires des voyelles marquées

 (voyelles nasales et, en général, toute voyelle complexe issue de coalescence)

 

 - corrélations de timbre, de durée et de tension

 

 - réflexions vocaliques, ou diphtongaisons de surface des voyelles

labiales et nasales

 

 Loin d'être des "langues historiques" obsolètes ou disparues, les

dialectes d'oïl périphériques conservent une certaine vitalité et continuent

 d'évoluer. Leurs systèmes phonologiques diffèrent du français central

 notamment par les conséquences segmentales de leurs stratégies de marquage

 accentuel et les classes de noyaux constituant leurs vocalismes. L'examen

 de ces phénomènes dans les dialectes d'oïl occidental - tout comme en

 québécois ou en acadien - permet un gain de transparence sur des

phénomènes par ailleurs opaques en français standard ou "commun", notamment

 l'accentuation.

 


L’acquisition de la liaison et la question

du rattachement lexical des consonnes de liaison

 

Jean-Pierre Chevrot

Grenoble 3, GDR Phonologies, chevrot@icp.inpg.fr

 

Michel Fayol

Clermont-Ferrand 2, LAPSCO/CNRS,

Michel.Fayol@srvpsy.univ-bpclermont.fr

 

La liaison en français est un thème récurrent de la phonologie de l’adulte. Depuis l’approche de Schane (1968) dans le cadre de la phonologie par règles de Chomsky et Halle (1968), jusqu'aux propositions récentes de Tranel (à paraître) dans la perspective de la théorie de l’optimalité (Prince & Smolensky, 1993 ; McCarthy & Prince, 1993), la modélisation de la liaison a toujours constitué une épreuve inévitable pour les théories phonologiques. Par ailleurs, la nature variable de certaines consonnes de liaison (dorénavant : CL) en fait un objet privilégié des études de corpus sur la variation phonologique chez l’adulte (Agren, 1973 ; Lucci, 1983 ; De Jong, 1994, etc.).

La liaison est donc bien décrite chez l’adulte, et son fonctionnement est modélisé par un arsenal formel qui illustre l’histoire et la diversité des théories phonologiques. En revanche, son acquisition et son usage chez l’enfant restent une terra incognita. De plus, certaines erreurs par adjonction (“ le narbre ”) ou par substitution (“ des narbres ”) de consonnes de liaison sont des stéréotypes bien connus du baby talk français. Mais le lien entre ces erreurs, l’acquisition de la liaison et le problème de la segmentation des mots n’a jamais été approfondi.

Les questions théoriques posées à propos de la liaison chez l’adulte semblent s’articuler autour de quatre thèmes : (1) la définition morphosyntaxique des domaines où elle est obligatoire, facultative ou interdite (2) la représentation de la nature alternante des CL (3) le rattachement lexical des CL (4) le lien entre liaison et élision ou h aspiré. Les données d’acquisition que nous présenterons documentent le troisième de ces thèmes. En outre, elles posent les premiers repères empiriques jalonnant l’acquisition de la liaison entre 2 et 4 ans. Plus particulièrement, trois types de données seront présentés. Premièrement, nous analyserons 665 erreurs de type “ le narbre ” ou “ un zarbre ” recueillies lors des interactions quotidiennes d’une fillette, entre 2 ans 1 mois et 3 ans 6 mois. Deuxièmement, nous présenterons les résultats d’une première expérience menée auprès de 24 enfants (âge moyen : 3 ans 8 mois). Cette expérience est destinée à tester l’hypothèse selon laquelle la CL est encodée chez l’enfant à l’attaque initiale des mots commençant par une voyelle chez l’adulte, et à préciser les conditions favorisant les erreurs. Troisièmement, nous présenterons les résultats d’une deuxième expérience menée auprès de trois groupes d’enfants d’âges différents : 15 enfants dont l’âge moyen est 3 ans 5 mois, 24 enfants d’âge moyen 4 ans 6 mois, 15 enfants d’âge moyen 5 ans 8 mois. Cette seconde expérience, basée sur l’utilisation de pseudo-mots, est destinée à tester les procédures de segmentation mises en œuvre par les enfants au contact d’un mot nouveau inséré à une séquence ambiguë, où un /z/ ou un /n/ peuvent être traités soit comme une CL, soit comme l’attaque initiale du mot suivant. Les enfants sont confrontés à l’image d’un animal imaginaire que l’expérimentateur désigne, par exemple, comme “ un (n)ouril ”. Il leur est demandé ensuite de désigner une seconde image représentant plusieurs animaux du même genre. Selon que les enfants répondent “ des z-ourils ” (avec une liaison en /z/) ou “ des nourils ”, on considère que le [n] entendu dans la parole de l’expérimentateur a été traité comme une CL ou comme la consonne initiale du nom suivant le déterminant “ un ”.

Au total, les résultats suggèrent les faits suivants : (1) certaines CL sont encodées à l’initiale des mots dans le lexique enfantin (/naRbR/); (2) pour chaque mot, plusieurs CL en alternance sont encodées dans cette position (/naRbR/, /zaRbR/, /taRbR/)); (3) à 3 ans, la préférence pour une syllabe initiale CV n’est pas un critère pour segmenter les mots nouveaux ; à 4 et 5 ans, les segmentations CV sont au contraire évitées ; (4) les régularités distributionnelles (en français, plus de mots commencent par /n/ que par /z/) influencent la segmentation des mots nouveaux à partir de 4 ans ; (5) entre 3 et 4 ans, le pourcentage de liaisons correctes corrèle avec l’âge ; (6) chez les enfants de 3-4 ans qui maîtrisent le mieux la liaison, les erreurs par omission de la CL sont plus fréquentes et la force de /n/ dans les erreurs est moins importante. A partir de ces résultats, nous proposerons deux ébauches concurrentes de scénario développemental, selon qu’on postule comme Morin (à paraître) que les CL prénominales chez l’adulte sont des préfixes nominaux, ou selon qu’on adopte la position classique qui les situe lexicalement à la finale des déterminants et des adjectifs.

 


Constraints on Function Words: the Southern Gascon article

J.P. Montreuil

 

In Southern Gascon dialects, Proto-Romance /l/ obstruentized to [t] in word-final position and rhotacized to [r] intervocally, with the result that, in most dialects, the forms /et/ and /er+o/ are the synchronic inputs of the Gascon definite article, with [s] as a plural marker. It will be shown that these inputs correspond to a multiplicity of outputs in the phrasal phonology and that the complexity of the allomorphic distribution reveals many crucial aspects of the entire phonology of Gascon. Furthermore, dialectal variation reveals further grammatical and lexical complexity, and we show that OT is able to determine when this state of affairs is reflected by constraint-reordering as opposed to input restructuring.

 

The allomorphic distribution in the masculine responds primarily to constraints prohibiting place of assimilation (PA) contours. Markedness pointing to /t/ as the ultimate generic Romance plosive, /t/ PA-assimilates to the following word (1). A F(aith)/pa-onset, *pa-contour >> f/pa-coda ordering accounts for not only for the forms in (1), but also for the cases where /t/ does not assimilate to the following consonant in [h]-initial roots, as in (2). Rather, /h/ assimilates progressively to /t/. OT can represent this state of relative markedness in a non ad-hoc fashion, the idea being that richer structures always attract poorer structures. The direction of assimilation directly follows from the structural complexity of the segments concerned. Only with /h/ does the [tt] candidate fail to violate F/PA-ONS, since /h/ is placeless (Tableau 1).

 

Phonotactics in the plural forms show the interplay of an undominated *3-C cluster constraint prohibiting certain consonantal sequences. Max-io is violated by the deletion of /t/, rather than that of plural /s/ (morpheme-integrity) or of the initial consonant (root-integrity). Cases of input restructuring are also considered: notably, the regularization into [er] m. / [ero] f. in some dialects and palatalization in Haut-Comminges, where inadmissible clusters potentially arise even in the singular (3). From an input /etS/, the same grammar correctly selects the optimal allomorphs shown in (4 and Tableau 2).

 

Next consider syllable optimization as manifested in hiatus resolution. The initial vowel of the article is elided after a vowel in the phrase (5). The feminine /erO/ behaves similarly (6a), but its final [O] also elides before vowel (6b). This results in 'double elision' when the article is both preceded and followed by vowels (6c). This situation is not atypical of Romance and illustrates several claims that have recently been made in the literature concerning the need to preserve features or segments which occur in certain morphological or prosodic positions, since roots are left untouched and elision affects systematically the article itself rather than the function words which surround it. MaxV breaks into two subconstraints and all elision patterns follow from a MaxVLex >> Dep >> Ons >> MaxVMorph ranking. Cases where the vowel fails to delete after glides (7) constitute apparent counter-examples, but we bring evidence that word-final VG sequences should not be viewed as left-headed (falling) diphthongs, and that consequently the glide is non-nuclear.

 

One context requires special provisions: Gascon displays the prosthetic 'e' which is so common in Southern Romance. However, no elision takes place before prosthetic 'e'. Rather, prosthesis itself is not called for. The Onset Sonority, Contiguity, Max >> Dep ranking accounts for the post-lexical character of prosthesis.

 

Data

(1)          et drolle   [dd]                       et gat      [gg]                       et casse  [kk]                       et mialan [mm]     

(2)                        et hour    [et.tur]    *[hh]                                                                et hoc                    [et.tok]    *[hh]      

 (3) Haut-Comminges masculine singular

before C:          [eb] baqué                           [ek] casse                                          [eS] chiulet                          [el] libe  

before V:          [edJ] arbre                           [edJ] estournèu     [edJ] isart                            [edJ] obus

(4)          Haut-Comminges masculine plural

before C:          [ez] braus                                          [es] courbasses                    [ez] dinès                             [es] teules             

before V:          [edz] audèts                        [edz] elefants                       [edz] irisses           [edz] utisses

(5)          coupo [dJ] arbe                    coupa [t] pan

(6a)        coupo [ro] branco  parti à [ro] guèrro

(6b)        qu'aucits [er] auco

(6c)        que part à [r] attaco                            que sorti de [r] auberjo

(7) no elision after glide: que bau et mèn                                         qu'ei es tos                           qu'a pou era net

(8)          era 'scolo                             *er'escolo (cf. escolo)                                       era 'scletto             * er'escletto (cf. escletto)

 

*Vce-contour : No contour in voice quality.

*Pa-contour: No contour in point of assimilation.

Max-io: Don't delete input segments

F/Pa-ons: Don't alter the place features of onsets

F/Pa-coda: Don't alter the place features of codas

Lic-Vce / morph: The voice of a coda C is validated by the following nucleus.

*3-C: No three consonants in a row

* pal: No palatals

MaxMS:    Any input segment which is the only segment in its morpheme must have a corresponding segment in its output.

MaxVLex:             Every input V in a lexical word must correspond to a V in the output

son (= Onset Sonority) : Onset clusters rise in sonority.

cont (= Contiguity) : No morpheme-internal epenthesis.

 

 

/t g/

*Vce-contour

*pa-contour

Max-io

F/pa-ons

F/pa-coda

 

tg

*

*

 

 

 

 

tt

 

 

 

*

 

gg

 

 

 

 

*

 

dg

 

*

 

 

 

 

g

 

 

*

 

 

 

/t h/

 

 

 

 

 

 

th

 

*

 

 

 

tt

 

 

 

 

 

 

hh

 

 

 

 

*

 

h

 

 

*

 

 

Tableau 1: /et gat/ the cat; /et hur/ the oven

 

 

/etS + s arbes/

MaxLex

MaxMs

*3-C

Lic-Vce

/morph

Vce-Contour

*PA-Contour

Max-io

*Pal

 

ets arbes

 

 

 

*

 

 

*

 

edz arbes

 

 

 

 

 

 

*

 

 

etS arbes

 

*

 

*

 

 

 

*

 

edJ arbes

 

*

 

 

 

 

 

*

 

eJ arbes

 

*

 

 

 

 

*

*

 

/etS + s pans/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et pans

 

*

 

 

 

*

*

 

 

etS pans

 

*

*

 

 

 

 

*

 

ep pans

 

*

 

 

 

 

*

 

 

etSs pans

 

 

**

 

 

 

 

*

 

edz pans

 

 

*

 

*

 

*

 

es pans

 

 

 

 

 

 

**

 

 

ets ans

*

 

 

 

 

 

*

 

 

eSs pans

 

 

*

 

 

 

*

*

 

eS pan

 

*

 

 

 

 

*

*

Tableau 2: /etS + s arbes/ the trees; /etS + s pans/ the breads

Selected references

Bianchi, A. & A. Viaut. 1995. Fichas de grammatica d”occitan gascon normat. Bordeaux: PU.

Casalí, Roderic F. 1997. Vowel elision in hiatus contexts: which vowel goes? Language 73, 3: 493-534.

---------. 1998. Resolving Hiatus. New York & London: Garland Publishing.

Cho, Young-Mee Yu. 1990. Parameters of Consonantal Assimilation. Standford University dissertation.

Colina, Sonia. 1995. A Constraint-based Analysis of Spanish, Catalan and Galician. University of Illlinois.

Daulon, Louis. 1991. Grammaire gasconne. Parler du Haut-Comminges. Pointis-Isard: Chez l”auteur.

Hualde, José. 1992. Empty consonants and other CV-effects in Aranese Gascon. Lingua 86, 1: 157-168.

Kaisse, Ellen. 1977. Hiatus in Modern Greek. Cambridge, MA. Harvard University.

Seguy, Jean. 1954. Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne. Toulouse: IEMFL.


Emergence du non-marqué segmental dans les hypocoristiques à redoublement du français

 

Marc Plénat, erss

 

Le schème utilisé par les hypocoristiques à redoublement du français (un pied dissyllabique à première syllabe ouverte, cf. Victor > Totor) et les simplifications de constituants syllabiques qui caractérisent ce mode de formation (cf. Brigitte > Bibi) peuvent être considérés comme la manifestation de l'émergence d'un non-marqué structurel. Le probleme le plus délicat, cependant, dans l'étude de ces hypocoristiques réside moins dans la caractérisation du schème qu'ils utilisent que dans la sélection du matériel segmental qu'ils empruntent au prénom. Si, en effet, une majorité d'hypocoristiques redoublent la première syllabe du prénom dont ils sont issus, on observe aussi un assez grand nombre de cas où tout ou partie du matériel segmental emprunté provient d'ailleurs (cf. Valérie > Vévé, Vivi, Lili, Riri à côté de Vava). Pour rendre compte de cette variation, nous avançons l'hypothèse que les contraintes de fidélité (Linéarité, Contiguïté, Ancrage à gauche) qui aboutissent d'ordinaire à la sélection du matériel segmental figurant dans la première syllabe, peuvent à l'occasion être contrariées par d'autres contraintes. L'inégale expressivité des voyelles joue très vraisemblablement un rôle important. Mais l'inégale aptitude des consonnes à figurer en position d'attaque ou de coda joue très probablement un rôle aussi (il y a par exemple lieu de penser que si Victor fait régulièrement Totor et non Vivi ou Toto,c'est que /t/ constitue une meilleure attaque que /v/ et que /r/ est une bonne coda). Il y aurait donc ainsi une émergence d'un non-marqué segmental simultanée à l'émergence du non-marqué structurel. L'hypothèse présentée soulève un assez grand nombre de problèmes. Elle est en particulier peu compatible avec la méta-contrainte de Hiérarchie des marges proposée par Prince & Smolenski (les meilleures attaques semblent être les momentanées et non les obstruantes, et la hiérarchie des codas paraît être distincte de celle des attaques).

 


Syllabes des langues du monde

Données, typologies et tendances structurelles

Nathalie Vallée, Louis-Jean Boë, Isabelle Rousset

Institut de la Communication Parlée

BP 25 –38040 Grenoble cedex 9, France

Tél.: ++33 (0)476 82 41 19 - Fax: ++33 (0)476 82 43 35

Mél: vallee@icp.inpg.fr

 

Si la syllabe ne répond pas seulement à une analyse formelle, mais aussi à des contraintes de production et de perception de parole, alors on doit pouvoir trouver les traces de son organisation dans les langues du monde. Nous pensons que lanalyse des séquences généralement favorisées ou défavorisées dans les langues, des fréquences des combinaisons inter- et intra-langue au niveau syllabique et lexical, des dépendances et indépendances distributionnelles des unités phoniques inter- et intra-syllabiques, ainsi que la confrontation des tendances des structures syllabiques aux données de lontogenèse, renseignent sur le rôle de l'organisation syllabique dans le fonctionnement du langage. Notre démarche consiste à mettre en place, et rendre disponible, des lexiques "représentatifs" des langues du monde matériau susceptible de servir de référence dans le cadre de recherche sur la phonologie de la syllabe et utilisable pour la mise à l’épreuve de modèle d’émergence syllabique.

Dans l'état actuel davancement, nous nous limitons ici à une présentation de résultats préliminaires qui permettent déjà de dégager des caractéristiques typologiques des langues à partir des structures syllabiques et davancer des considérations générales sur les types syllabiques de 13 langues : wa, kannada, sora, thaï, nyahkur, ngizim, afar, kanouri, navaho, kwakw'ala, quechua, yup'ik, finnois. Cet échantillon est issu dune banque de données contenant les lexiques de 32 langues découpés en syllabes que nous implantons actuellement à lICP sous lacronyme ULSID (UCLA - Université de Los Angeles - Lexical and Syllabic Inventory Database). Les langues ont été sélectionnées par Ian Maddieson dans un souci de représentativité à la fois génétique et géographique : diversité des familles de langues et large répartition géographique. Les langues qui ont été retenues disposent dun dictionnaire ou dun lexique dont les entrées sont phonétiques ou phonologiques ou orthographiques. Dans une première étape, nous avons harmonisé la notation phonétique/phonologique entre les lexiques en adoptant les symboles de lAPI (1996) tout en conservant les informations du découpage syllabique. Nous disposons à lheure actuelle, par langue, en moyenne, de 4 560 termes, soit un total dun peu plus de 160 500 syllabes résultant du découpage de ces 60 000 entrées lexicales.

Nous avons élaboré une typologie des langues en fonction du nombre de syllabes par entrées lexicales, grâce à laquelle nous faisons émerger 4 types de lexique. Le calcul de la forme canonique des langues (rapport entre le nombre total de syllabes pour l'ensemble d'un lexique donné et le nombre d'entrées lexicales) montre une tendance forte pour les structures lexicales di- et trisyllabiques.

Nous avons procédé ensuite à un regroupement des syllabes identiques pour chacune des langues et déterminé le rendement syllabique. Il sagit du rapport entre le nombre total de syllabes obtenues dans le découpage d'un lexique donné et le nombre de syllabes différentes comptabilisées après regroupement (un rendement proche de 1 signifie que la fréquence des syllabes dans le lexique de la langue concernée est minimale). Nous montrons quil existe une corrélation entre le rendement et les quatre types de lexiques.

La décomposition des syllabes de chaque lexique en constituants C et V, et leur regroupement en structure identique (cohorte), révèlent que le nombre de ces cohortes est relativement restreint, quelle que soit la langue, et qu'il varie dans un intervalle allant de 4 à 12, avec une moyenne de 7.7 types par langue. Nous montrons que le contingent de types de cohortes pour chaque langue est indépendant de la taille du lexique, du nombre total de syllabes et du rendement. Les syllabes fermées présentent plus de diversité : 11 types contre 5 pour les syllabes ouvertes. Autre tendance très forte : les groupements consonantiques intra-syllabiques sont nettement défavorisés ; on ne les rencontre que dans 1.26 % des quelques 160 500 syllabes de notre corpus. Ces groupements consonantiques apparaissent en majorité (67 %) à lattaque contre 33 % en coda. Il faut souligner également que les consonnes complexes (celles qui superposent à une articulation de base des modes articulatoires tels que la labialisation, l'aspiration, la glottalisation, la palatalisation, la prénasalisation... mais qui n'occupe qu'une position C dans notre corpus) sont bien plus fréquentes en attaque de syllabe.

Les articulations vocaliques ou consonantiques élaborées peuvent apparaître dans les syllabes les plus fréquentes dune langue donnée (exemples [k a: n] [tõi] ou [kõ w a: m] qui sont respectivement les syllabes de rang 2, 4 et 5 du thaï). La comparaison des syllabes les plus fréquentes pour chaque langue, montre qu'elles possèdent majoritairement une attaque constituée de plosives sourdes, vélaires et coronales [k t], devant les latérales coronales [l], les nasales coronales et bilabiales [m n] et la fricative coronale sourde [s]. Les noyaux de ces syllabes fréquentes sont pour plus d'une syllabe sur deux occupés par la voyelle ouverte [a], devant [i] et [u]. Nous remarquons également que [a] constitue le noyau le plus répandu des syllabes qui présentent une attaque et une coda vide (type V). Si une langue ne présente pas cette tendance, alors la structure V est marginale ou inexistante sur l'ensemble du lexique (navaho, wa, nyakhur, thaï). Il est plus difficile de tirer une observation générale sur la nature des consonnes en coda de syllabes fréquentes dans une langue car pour beaucoup c'est la structure CV qui prédomine. À noter une forte proportion de [n] dans cette position. Parmi les syllabes les plus répandues dans une langue donnée, l'inventaire des consonnes en coda semble bien plus restreint que l'inventaire des possibilités pour les consonnes en attaque.

La fréquence importante de la structure CV, la marginalisation des groupements consonantiques intra-syllabique et la forte proportion dunités dissyllabiques dans les langues pourraient bien relever de contraintes de production ; dautant plus que lattracteur CV émerge dans les données de lontogenèse en constituant les syllabes canoniques du babillage de lenfant, quelque soit son environnement linguistique.

 


Perspectives phonologiques pour un modele Gestaltiste de la prosodie

 

Véronique Aubergé

Institut de la Communication Parlée, UMR CNRS 5009, Grenoble

 

Si l'on adopte l'hypothèse d'une prosodie perçue selon des principes de

Gestalt et organisée en catégories de formes globales (dans la tradition de

Delattre et Fonagy), on est en droit de se poser deux questions :

 

*       Cette hypothèse conduit-elle à une représentation phonologique de

la prosodie ?

*       La phonologie tonale est-elle en contradiction avec cette hypothèse ?

 

Nous allons retracer ici, pour illustration, les principes d'un modèle

Gestaltiste de la prosodie du français [Aubergé 92], développé d'abord pour

représenter la fonction de segmentation/hiérarchisation des énoncés, ainsi

que la fonction attitudinale. Nous essaierons de montrer qu'un tel modèle

permet d'envisager un fonctionnement catégoriel phonologique des contours

tandis qu'une phonologie tonale, qui situe la distinctivité des unités à un

niveau de granularité inférieur, ne permet pas d'expliquer une systémique

directe des contours.

 

D'autre part, nous interpéterons certaines propriétés perceptives de

prédiction des contours [Grosjean, 83 ; Gronnum, 87 ; van Heuven et al, 97,

Aubergé et al, 97] comme les indices de non compatibilité avec une

description linéaire des contours par des grammaires de tons et des indices

de rupture, tels que les mettent en oeuvre les modèles phonologiques

classiques [Mertens, 95 ; Hirst, 93], en particulier les modèles basés sur

un étiquetage TOBI [Pierrehumbert , Beckman, 90].

 

Cependant, il est possible de réconcilier les deux approches, en gardant

l'hypothèse de traitement global,  si l'on accepte :

 

*       de considérer la décomposition tonale comme une étape

sous-symbolique du traitement cognitif de la prosodie (ce qui obligerait à

conserver une ligne non symbolique au traitement tonal) ;

 

*       de poser l'hypothèse supplémentaire de l'émergence du contour

global à partir de la substance prosodique "pré-découpée" en pièces tonales

; le ton n'est donc pas directement un élément participant au sens, mais un

élément "morphologique", clé dans le processus de reconnaissance et accès à

la forme globale ;

 

*       d'envisager la prosodie tonale comme résultante d'une démarche

ascendante dans la modélisation prosodique, tandis que la modélisation par

formes globales reste fondamentale descendante.


Le mot minimal en italien: le cas de l'impératif

 

Lucia Molinu et Franck Floricic

Université de Toulouse

 

  L'italien est une langue qui, comme d'autres, manifeste des contraintes de minimalité. D'une manière particulièrement intéressante, cette contrainte se manifeste à l'impératif et au vocatif: en vertu même de leur fonction, ces formes qui relèvent du plan de l'appel (cfr. Buhler) sont en effet des formes brèves. Cependant, il est possible de montrer que ces formes ne descendent pas en deçà d'un certain gabarit. Par exemple, les "impératifs" (2e sg.) des verbes volere (vouloir), sapere (savoir), avere (avoir) et essere (être) sont dérivés des subjonctifs correspondants:

   volere:                           vogli [·vO:íi] (imp.)   <          voglia [·vO:ía] (subj.)

   sapere:                           sappi [·sappi] (imp.)   <         sappia [·sappja] (subj.)     

   avere:                            abbi [·abbi] (imp.)      <         abbia [·abbja] (subj.)

   essere:                           sii [si:] (imp.)         <            sia [·si:a] (subj.)

L'impératif des verbes volere, sapere, et avere  apparaissent donc comme des "truncated forms". Aussi, dans le cas de l'auxiliaire essere, l'effacement de la désinence -a  devrait-il logiquement donner une forme si [si], analogue à celle des modaux sus-mentionnés. Au contraire de cela, l'impératif de l'auxiliaire essere présente une voyelle longue: le "deuxième" i de sii  ne peut donc absolument pas être une désinence. Il est en revanche possible d'analyser ce "deuxième i" comme la manifestation d'un allongement vocalique visant à satisfaire la contrainte de minimalité; cet allongement produit donc un pied binaire bi-moraïque:

  

Au fond, les impératifs (dits monosyllabiques) de verbes tels que fare  ou dare  affichent la même caractéristique, puisqu'ils se présentent en contexte autonome comme des pieds bi-moraïques:

  

Le phénomène de raddoppiamento que l'on observe aux formes enclitiques confirme d'ailleurs l'existence de ce gabarit: ex. Fammi! ["fammi] / Dammi!  ["dammi]: le deuxième élément de la diphtongue est ici dissocié de la seconde more à laquelle s'associe la consonne initiale du clitique:

 


Phonologie des « mores spéciales » en japonais et poids mélodique

 

Laurence Labrune, Université Bordeaux 3, Erss

 

Il existe en japonais des éléments phonologiques particuliers, qualifiés traditionnellement de « mores spéciales » (ou « phonèmes spéciaux »). Ces éléments ont pour caractéristique de valoir une unité rythmique au même titre qu’une séquence CV, et de constituer la deuxième more d’une syllabe lourde (éventuellement la troisième more d’une syllabe extra-lourde). 

Ces « mores spéciales » appartiennent aux quatre types suivants :

-          /N/ : nasale-more

ex. /hoN/ [hon] « livre »

-          /Q/ : première partie d’une obstruante géminée

ex. /haQpa/ [happa] « feuille »

-          /R/ : longueur vocalique

ex. /hoR/ [ho:] « direction »

- /J/ : deuxième partie d’une diphtongue

ex. /aJ/ [ai] « amour]

 

Ma communication se propose de poser le problème de ces mores spéciales en japonais, en interaction avec les structures prosodiques et segmentales. Ma présentation sera organisée comme suit :

 

1. Je rappellerai d’abord les principales caractéristiques des mores-spéciales en japonais. Outre leur statut moraïque, elles présentent trois types de propriétés :

a)      propriétés segmentales

-          « incomplétude » segmentale : les mores-dépendantes (sauf /J/) héritent une partie de leur contenu segmental des segments environnants (par assimilation progressive pour /R/, par assimilation régressive pour /N/ et /Q/).

b)      propriétés prosodiques

- Les mores dépendantes sont inaccentuables : lorsque l’accent doit frapper une more-dépendante, il recule sur la more précédante.

- une forme tronquée de 2 ou 3 mores ne doit pas se terminer par une more-dépendante *paR *daJ *demoN, *daJja (Itô 1990)/

- Les mores dépendantes sont instables : elles apparaissent et disparaissent plus facilement que les autres types d’éléments (cf. évolutions diachroniques, variation synchronique, langages secrets tels le zuuzyago).

c)      propriétés distributionnelles

- Les mores spéciales n’apparaissent pas à l’initiale de mot ; elles apparaissent toujours après une more de structure CV ou V ;

- elles connaissent des contraintes de co-occurrence : pas plus de 2 mores dépendantes à la suite (3, voire 4 dans des cas marqués) ; pas de succession d’une même more dépendante (*QQ *NN *JJ *RR) ; séquences *NR *NJ *NN *QR *QJ *QN *JR interdites (mais RJ, RQ, RN, JQ, JN, NQ, voire RJN, RNQ JNQ sont autorisés).

 

2. J’aborderai ensuite Le problème de la représentation des mores-dépendantes.

Différentes représentations des mores dépendantes ont été proposées : pour Yoshida (1990), /N/, /Q/, /R/ et /J/ sont des constituants de la rime au sein de la syllabe (pour cet auteur, le recours à la more se révèle inutile en japonais). Pour Itô et Mester (1993), /N/ /Q/ /R/ et /J/ appartiennent à la rime (à la coda pour N et Q, au noyau pour R et J). Kubozono (1994), Itô, Kitagawa & Mester (1992), s’inspirant de la théorie moraïque, considèrent que /N/ /Q/ /R/ et /J/ constituent des unités pourvues d’un poids syllabique intrinsèque, à savoir qu’ils sont associées à des µ elles-mêmes reliées à des syllabes. Pour ces chercheurs, syllabe ET more sont pertinentes en japonais. Pour d’autres, comme Komatsu (1981), et un grand nombre de phonologues japonais du courant traditionnel, la syllabe est un constituant inutile ; seule la more suffirait.

 

3. Les mores spéciales et la controverse more / syllabe

Le statut et la nature phonologique des éléments /N/ /Q/ /R/ /J/ continuent de faire l’objet de nombreuses controverses. La question généralement débattue est celle de savoir si les unités prosodiques pertinentes du japonais sont la more, la syllabe ou les deux à la fois (la pertinence du pied ne semble pas remise en cause).

Le débat a été récemment relancé par Kubozono (1996) qui prône l’utilité à la fois de la more et de la syllabe pour rendre compte de différents procès phonologiques en japonais. Dans les travaux récents, notamment, on recourt fréquemment à des contraintes telles que Stress to Weight (« accentuer la syllabe lourde »), NonFinality (« une syllabe lourde ne peut pas se trouver à la fin d’un mot prosodique), etc ou à des filtres ou conditions de bonne formation tels que la Coda Condition (Itô, 1986), ou l’interdiction d’avoir une coda branchante. Toutes ces contraintes ou conditions de bonne formation en appellent à la syllabe, qui apparaît finalement comme le seul élément légitimant les mores spéciales. Mais il ne serait pas très difficile de démontrer le caractère ad hoc de bon nombre de ces analyses, et de reformuler les contraintes ou conditions énoncées ci-dessus sans en passer par la syllabe.

Il ne faut pas perdre de vue que l’argument majeur pour poser la pertinence de la syllabe (en plus de la more) en japonais est constitué précisément par l’existence de /N/ /Q/ /R/ et /J/, et le besoin de distinguer entre syllabes légères et syllabes lourdes, c’est-à-dire entre deux types de mores (dépendantes et indépendantes), les syllabes lourdes étant définies comme constituées d’une syllabe (C)V suivie de {N, Q , R , ou J}. Or, les propriétés de /N, Q, R, J/, à leur tour, sont souvent expliquées comme résultant de la position occupée par ces éléments dans la structure syllabique ! (Coda Condition, l’interdiction d’avoir une coda branchante, etc.). Pour la plupart des analyses (quoique de façon rarement explicite), les particularités segmentales qui sont celles des mores spéciales découlent en fait de leur statut prosodique, les segments /N Q R J/ devant être « licenciés » par la position syllabique ; s’ils sont spéciaux, c’est parce qu’ils dépendent de la coda.

 

 

4. La structure segmentale des mores spéciales

Dans ces conditions, il est légitime de se demander si l’explication des particularités des mores spéciales ne serait pas à rechercher ailleurs que dans leur position post-nucléaire dans un constituant de type syllabe. Plutôt que de regarder le niveau supérieur de la hiérarchie prosodique (la syllabe), on pourrait envisager de s’intéresser au niveau inférieur, à savoir la structure segmentale des éléments associés aux mores spéciales.

Or, l’une des caractéristiques les plus frappantes de mores spéciales paraît résider justement dans leur incomplétude (leur déficience) segmentale, et leur dépendance mélodique aux segments environnants.

C’est la raison pour laquelle je voudrais tenter d’envisager les choses sous un autre angle, à savoir que le statut prosodique des mores spéciales procède de leur structure segmentale, autrement dit, que les mores spéciales sont « licenciées » par le niveau mélodique plutôt que par le niveau prosodique (cf. l’autosegmental licensing de Goldsmith 1990 / a-licensing de Harris 1997, vs le prosodic licensing, de Itô 1986 / p-licensing de Harris 1997). Cette analyse permettrait éventuellement de faire l’économie du constituant syllabe en japonais, pour ne garder que la more et le pied, unités prosodiques dont la pertinence est justifiée par de multiples phénomènes phonologiques en japonais.

 

Pour cela, je voudrais rapprocher le comportement des mores spéciales de celui d’autres segments du japonais[1], à savoir : les voyelles dévoisées, les voyelles épenthétiques, les voyelles dépourvues d’une attaque.

En effet, ces voyelles, qui occupent toutes la position de noyau dans une more indépendante de structure CV ou V partagent plusieurs des propriétés des segments des mores-spéciales : notamment, elles ne sont pas accentuables, elles connaissent des contraintes de distribution et de co-occurrence. On peut considérer que ces voyelles partagent avec les mores spéciales le fait d’être « segmentalement légères » ou « réduites ». Ce serait donc le « poids segmental » qui serait responsable de la non prominence des éléments qui nous intéresse. 

 

 


Structure métrique et identité de mot dans les mots composés japonais

 

Shigeko SHINOHARA

UPRESA 7018 CNRS/UNiversity Paris III

 

 

Nous voulons montrer le rôle de la structure métrique non marquée dans le processus de mots composés en japonais. Le rapport entre la structure métrique et l’accent tonal du japonais a été identifié dans l’accentuation par défaut s’appliquant à certaines classes du lexique. En japonais la grande partie du lexique est spécifiée pour la place de l’accent. Par contre une partie du lexique manque cette spécification (formes adaptées de mots étrangers, noms propres, mots passés par des processus prosodiques ou "prosodically derived words" (cf. Tateishi 1991, Itô et Mester 1992, etc.), morphèmes dépendants) (Shinohara 1997b, 2000). Dans ce cas l’accentuation par défaut vient attribuer l’accent à certaine position. L'accentuation par défaut est définie comme à la tête du pied trochaïque placé à la fin d'une forme mais en laissant une syllabe derrière, --(µ’µ)s#  (( ) indique un groupement en pied) : philatélie > /fi(ra’te)ri/, crudité > /ku(rju’di)te/, potiron > /(po’ti)roN/ (ex. de formes adaptées des mots français). Cette structure est celle déjà attestée dans les recherches antérieures de la formation des hypocoristiques, de la troncation, et du verlan des musiciens (Itô et Mester 1992, Tateishi 1991 etc.). Nous considérons que l’accentuation pat défaut reflèterait la structure métrique optimale en japonais. Dans les mots composés (N1+N2), l’accent par défaut émerge quand l’accent de N2 enfreindrait la structure métrique au delà du niveau que tolère la grammaire.

Nous avons trouvé les faits suivants d'après nos recherches des schémas accentuels des mots composés dans le dictionnaire de l'accentuation, "Meikai Nihongo Akusento Ziten (eds. Akinaga 1981)". Nous traitons ici les mots composés dont la longueur de N2 est de plus que deux mores (pour des faits et analyse des composés dont N2 est moins long, voir Kubozono 1995).

 

1)      Quand N2 est accentué sur la syllabe finale, l'accent de N2 n'est pas retenu dans le composé et l'accentuation de composé (alignement de l'accent à la frontière morphémique entre N1 et N2) s'applique.

2)      Quand N2 est accentué sur la syllabe contenant la more pénultième (= sur le pied bimorique final), la variation entre la rétention de l'accent de N2 et l'accentuation de composé est observée. Cela s'interprète comme quoi l'accent pénultième est instable.

3)      Quand N2 est accentué sur la syllabe contenant la more antépénultième (= la position de l'accentuation par défaut), l'accent de N2 est retenu. Cette position est stable dans le processus d'accentuation de mots composés.

 

Des exemples de chaque cas sont présentés ci-dessous.

 

1) Schémas de l'accentuation de composés quand N2 est accentué sur la syllabe finale.

 

Composé

Accent de N2

Glose

1.        

huku#bu'kuro

hukuro'

sac de fortune

2.        

sue#mu'sume

musume'

fille cadette

3.        

suoo#ha'kama

hakama'

costume de théâtre 'kyoogen'

4.        

hana#ko'toba

kotoba'

paroles de fleur

5.        

hi#go'jomi

kojomi'

calendrier journalier

 

2) Variation quand N2 est originalement accentué sur le pied final.

 

Composé

Variation

N2

Glose

6.        

iro#ki'tigai

iro#kitiga'i

kitiga'i

nymphomanie

7.        

hidari#u'tiwa

hidari#uti'wa

uti'wa

faire une vie facile

8.        

jude#ta'mago

jude#tama'go

tama'go

œuf dur

9.        

hosi#du’kijo

hosi#duki’jo

tuki’jo

nuit claire

10.    

mu#ti’tuzjo

mu#titu’zjo

titu’zjo

chaos

 

3) Préservation de l'accent de N2 quand N2 est accentué à la position de l'accentuation par défaut.

 

Composé

N2

Glose

11.    

edo#mura'saki

mura'saki

violet bleu

12.    

nama#kuri'imu

kuri'imu

crème fraîche

13.    

hikaku#geNgo’gaku

geNgo'gaku

linguistique comparative

14.    

zjouki#kika’Nsja

kika'Nsya

locomotive à la vapeur

15.    

buNka#kooro'osja

kooro'osja

légion d'honneur

 

Les faits sont analysés dans le cadre de la Théorie de l'Optimalité. Dans notre analyse, quand plus de contraintes métriques seraient enfreintes par l'accent lexical de N2, cet accent ne peut être retenu dans le composé, à la place de celui-ci, l'accentuation de composé s'applique pour le déplacer. Il y a des cas où une contrainte métrique et l'accentuation de composé sont d'efficacité égale, dans ce cas la variation s'observe. Quand il n'y a pas d'infraction de contrainte métrique, l'accent de N2 est retenu.

L'accent par défaut n’est pas visible à cause de l'accent lexical dans la plupart du lexique, mais elle émerge quand la contrainte de Fidélité à l’accent lexical n'est pas applicable (ex. noms propres, adaptation de mots français). Dans le processus de mots composés, l'accentuation par défaut émerge également quand Fidélité à l’accent de N2 et l'accentuation de mots composés sont intégrées dans l'analyse.


Phonologie et phonétique d’un langage sifflé : le silbo gomero

 

Annie Rialland,

UPRESA 7018, CNRS-Paris III

 

              Cette communication présentera une étude phonologique et phonétique du silbo gomero, le langage sifflé de la Gomera dans les Canaries. Le silbo est une version sifflée de l’espagnol parlé à la Gomera. Il y a vingt ans, il était utilisé par la plupart des habitants de cette île montagneuse et pouvait transmettre une grande variété de messages (n’importe quel message selon les habitants). Actuellement, il est menacé de disparition (avec seulement cinquante personnes capables de le pratiquer) bien que certains habitants de la Gomera tentent  de le sauvegarder et de le faire revivre, en particulier par des cours dans des écoles.

              La présente étude est fondée sur des données collectées sur l’île de la Gomera : enregistrements, films  d’échanges sifflés, interviews, tests de perception impliquant quatre siffleurs à des degrés divers. Une partie de ces données a été incluse dans un documentaire “Les derniers siffleurs de la Gomera” (M. Jamposki, réalisateur), diffusé sur ARTE, le 11 Novembre 1999.

              Cettte communication considèrera 1) l’encodage phonologique en Silbo Gomero,  2) la nature du F2 transposé en silbo gomero (F2 or F2’),  3) le silbo gomero en tant qu’expérience perceptive grandeur nature.

 

1) L’encodage phonologique en silbo gomero

              Le signal du sifflement est beaucoup plus pauvre que celui de la parole, étant formé fondamentalement  d’une simple sinusoïde dont la fréquence évolue entre 1000 Hz et 3000 Hz (accompagnée ou non d’harmoniques régulièrement décroissants en intensité).  La gageure du langage sifflé est  d’encoder les phonèmes de l’espagnol dans un signal aussi simple.

              Le but de cette partie est de montrer comment le langage sifflé peut tenir une telle gageure et dans quelle mesure il le peut. Nous présenterons systématiquement les réalisations des divers phonèmes en divers contextes, nous fondant sur nos données et sur celles de nos prédécesseurs (Clase 1976, Trujillo 1978).  Utilisant des interviews et des tests perceptifs, nous montrerons aussi quelles distinctions phonémiques sont aisées à réaliser, lesquelles sont difficiles et lesquelles sont impossibles (par ex : /u/ et /o/ ainsi que /b/ et /g/ ne peuvent être différenciés).

              Nous montrerons que le silbo gomero utilise des indices acoustiques extraits de la parole. Les principaux sont les suivants :

- les trajectoires de F2 qui sont des indices consonantiques et vocaliques

- le silence de la tenue des occlusives non voisées

- la chute d’intensité durant la tenue des occlusives voisées

- le bruit de friction des fricatives (irrégulièrement présent)

- les battements des consonnes battues

              Le silbo gomero combine ces indices dans son encodage des phonèmes espagnols.

 

2) Quel F2  : F2 or  F2’?

              Si les trajectoires du F 2 sont aisément reconnaissables dans le silbo, par contre les hauteurs du  F2 de la parole sont loin d’être précisément reproduites. On peut ainsi comparer chez un même locuteur les valeurs des voyelles sifflées avec celles des F2 et F3 des voyelles parlées :

Voyelles sifflées

              i              e         a                 o             u

              2700   2300   1600  1400       1400

Voyelles parlées

F2           2300    2100   1400      950      600

F3           3000    2600   2000

De façon générale, les hauteurs des voyelles sifflées sont plus élevées que les F2 des voyelles parlées et  les voyelles [o] et [u] se confondent dans le sifflement.

              Ces différences par rapport au F2 peuvent s’expliquer, pour les voyelles non arrondies, par une reproduction non du F2 mais du F2’ (équivalent perceptif de l’ensemble F2, F3, éventuellement F4, cf. Carlson et Stevens 1999) et, pour les voyelles arrondies, par une contrainte liée à la tessiture du sifflement, dont la base se situe à 1200Hz chez ce locuteur et qui ne permet donc pas la reproduction de F2 trop graves.  Cette contrainte est également responsable de la confusion de [o] et [u].

 

3) Des expériences perceptives grandeur nature :

              Beaucoup d’expériences visant à déterminer des conditions de passage entre perception non phonétique et phonétique d’un même stimulus (“duplex perception”) utilisent  des “formant like-pure tone glides” qui sont, en fait,  des sifflements suivant des trajectoires formantiques (Bailey 1999, Best et al. 1981, Liberman  1995, entre autres ). Le silbo gomero fournit des conditions expérimentales extrêmes pour l’étude du basculement d’un mode de perception à l’autre.  

              Le silbo gomero confirme aussi les conclusions de nombreuses expériences, en particulier celles faites avec le “pattern playback” (système de synthèse de la parole), montrant l’importance des trajectoires de F2 pour l’identification des points d’articulation des consonnes (Delattre et al. 1954).  Les conditions expérimentales se trouvent également maximisées dans les langages sifflés, dans la mesure où le F2 est seul présent (sans F1 ou F3).

 

4) Conclusion

               Nous aboutirons à la conclusion que le code de ce langage sifflé est fondamentalement identique à celui du langage parlé mais avec une adaptation à un signal plus pauvre que celui de la parole.


Les diphtongues brèves en anglais : dissension entre phonétique et phonologie?

 

G.N. Clements

CNRS, UPRESA 7018, Paris

 

  Il y a des faits phoniques qui semblent se situer à la frontière entre la

phonologie et la phonétique et qui ne se laissent pas attribuer facilement à

l'une ou à l'autre.  A titre d'exemple, considérons la question suivante :

est-ce que la phonologie doit reconnaître l'existence des segments dits

"modulés", c'est-à-dire, des segments simples contenant en eux-mêmes des

traits sucessifs?  De telles représentations, souvent inspirées par le

traitement des tons modulés (montants, descendants) en phonologie

autosegmentale, ont été fréquemment proposées pour rendre compte de

phénomènes variés tels que les occlusives mi-nasales, les affriquées ou les

diphtongues brèves.  Cependant, les arguments étayant les segments modulés

sont en général beaucoup moins solides que pour les tons modulés.

Ici il sera question du statut des diphtongues brèves "centralisantes" qui

ont été observées par de nombreux auteurs dans des parlers anglais

d'Angleterre et d'Amérique du Nord.  Notre premier but sera de démontrer

qu'elles ne correspondent pas à des diphtongues phonologiques -- présentes

comme telles dans les représentations phonologiques -- mais à des

diphtongues phonétiques -- diphtongues présentes uniquement sur le plan

phonétique.  Elles ne constitutent pas donc des segments modulés

phonologiques.  Nous démontrerons ensuite, sur la base d'une analyse

acoustique des productions de quatre locuteurs de l'anglais américain (GAE),

que ce sont pourtant de véritables réalisations diphtonguées, et non le

résultat méchanique de coarticulations avec des consonnes avoisinantes.  Par

conséquent, elles doivent être représentées comme telles dans la grammaire

de l'anglais.    

La diphtongaison centralisante est donc intrinsèque à certaines voyelles

brèves (celles de bit, bed, bad, bud, et éventuellement d'autres selon de

locuteur) où elle peut représenter un retard dans la production du trait

[relâché], comme l'a proposé Stevens (Acoustic Phonetics, MIT Press, 1999).

Le trait [relâché], quoique ne jouant aucun rôle dans la phonologie de

l'anglais moderne, fonctionne phonétiquement pour renforcer la distinction

de surface entre voyelles brèves et longues, ces dernières (et surtout les

voyelles moyennes /e: o:/) étant généralement réalisées comme des nuclei

syllabiques "centrifuges", c'est-à-dire avec des mouvements vers la

périphérie de l'espace vocalique, du moins lorsqu'ils sont accentués.

Ainsi, la diphtongaison des voyelles brèves apparaît comme une stratégie de

réalisation propre à certains locuteurs ou dialectes, dont la motivation

fonctionnelle semble être le renforcement du contraste entre voyelle brève

et voyelle longue en anglais, marqué de façon faible et peu fiable par les

indices de durée.  Le fait que tous les locuteurs n'emploient pas cette

stratégie confirme qu'elle n'est pas déterminée par des contraintes purement

mécaniques de production de la parole, mais qu'elle appartient au système

grammaticale elle-même. 

 



[1] Et éventuellement certains segments d’autres langues, comme le schwa du français, de l’hébreu ou du lushootseed.