© H. Broch, Laboratoire de Zététique, mars 2004
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Psychokinèse ?... Myokinèse !

La loi des gaz parfaits en pleine action

 

Henri BROCH
Université de Nice-Sophia Antipolis

 

 

L'un des outils les plus puissants qui soient à notre disposition dans le domaine de l'extra-ordinaire consiste à se poser simplement la question : "Existe-t-il une autre explication qui donnerait un résultat identique, dans les mêmes conditions et avec les mêmes caractéristiques ?"
Par exemple, dans un domaine quelconque, on peut, devant un cas de phénomène revendiqué comme paranormal, se poser la question précédente et découvrir ainsi que l'on obtient le même résultat par des moyens on ne peut plus normaux. Il suffit de se rappeler la simplicité de la recette chimique permettant de refaire le "miracle de la liquéfaction du sang de St Janvier" ou encore la simplicité de la technique de frottis permettant de créer un "saint suaire de Turin" parfaitement présentable, pour avoir une idée de la puissance et de la portée de cet outil...
La méthode "naturelle" est alors étayée et (principe de parcimonie des hypothèses) l'hypothèse "sur-naturelle" devient superflue.
Ce qui, évidemment, ne signifie pas nécessairement qu'elle soit fausse !

Regardons un peu le domaine de la psychokinèse.
A la fin de l'année 2000 un candidat au Prix-Défi de 200.000 euros, Cedomir Tomic, affirmait posséder un pouvoir de "télékinèse sur des objets de large surface et si possible épais, tels des portes voire des fenêtres" qu'il pouvait donc, dans une "petite pièce", déplacer légèrement et faire claquer dans l'encoignure (cf. N° 252 dans la liste des candidatures au Prix-Défi).


Jean-Pierre Cavelan, Juliette Cavelan, Henri Broch, Cedomir Tomic

Après échanges de courriers et coups de fil, nous avons fait un mini-test au laboratoire de Zététique en mars 2001.
Ce fut un échec... en tout cas concernant la télékinèse.
Car l'effet présenté existe bel et bien, mais n'a rien de psychokinétique. Il est... "myokinétique" (myo-télé-kinétique si l'on désire être plus précis) et simplement dû en fait à la création d'une onde acoustique infrasonore par la compression / décompression du thorax provoquée par des mouvements musculaires brusques (l'action est optimisée par la petitesse de la pièce).

Pour expliquer un peu ce phénomène, il faut schématiser la situation et il suffit quasiment de dire que, pour l'air, le produit PV, Pression que multiplie Volume, est constant.

En effet, en assimilant l'air à un gaz parfait, nous avons PV = nRT ; où n est le nombre de moles présentes, R la "constante des gaz parfaits" (valant 8,314) et T la température. Si la température de l'air dans la pièce reste constante, le nombre de molécules - donc de moles - étant constant dans une pièce donnée (fermée), nous avons alors effectivement simplement le produit PV = Cte
D'où, si vous faites augmenter le volume V accessible à l'air vous avez nécessairement une diminution de la pression P et, inversement, lorsque V diminue vous obtenez une augmentation de P.

Vu le faible volume de la pièce concernée par l'expérience, la variation même très petite du volume corporel d'une personne implique une variation du volume accessible à l'air donc une variation de pression de cet air largement suffisante pour exercer une force non négligeable sur une porte (conséquence de sa grande surface).

Quelques chiffres peut-être plus parlants :
- Si la "pièce" est très petite (« 3 m2 maximum » comme le demandait le candidat, cf. infra) son volume, en prenant une hauteur classique de 2,5 mètres, vaut 7,5 m3 soit 7.500 litres.
- Si le sujet-psi provoque une augmentation de son volume thoracique ou abdominal d'environ 0,25 l c'est-à-dire un quart de litre (ce qui est une hypothèse minimale et s'obtient - faites l'expérience - vraiment très facilement), cela signifie que le volume accessible à l'air de la pièce a diminué de 0,25 litre c'est-à-dire qu'il est maintenant de 7.499,75 litres soit une diminution relative de 0,00003 %.

C'est très, très, très faible.
Mais est-ce pour cela autant totalement négligeable ?
Pas vraiment, car cette diminution du volume implique une augmentation de la pression de l'air dans la pièce (puisque le produit PV reste constant) qui, de sa valeur initiale, va passer à 1,00003 fois cette valeur.
Si l'on parle en termes classiques de pression et que l'on dit que la pression de l'air au départ était (des deux côtés de la porte évidemment) de 1,013.10exp5 pascals* cela ne «dira» peut-être pas grand chose. Mais si l'on explique que cela correspond à une valeur de départ d'environ 1 kilogramme-force (kgf) par cm2 (c'est-à-dire que tous les cm2 s'exerce une force identique en valeur au poids d'une masse de 1 kilogramme) alors on commence peut-être à mieux comprendre.
Une variation de pression de 3 cent-millièmes d'un côté de la porte correspond donc à une valeur de 0,00003 kgf par cm2 et, comme une porte classique représente une surface d'environ 16.800 cm2 (surface de 80 cm sur 210 cm), cette variation de pression représente une force totale... de 0,504 kgf c'est-à-dire plus de 500 gf (grammes-force) supplémentaires s'exerçant sur ce côté de la porte.
Or, un petit test avec un dynamomètre (tout simplement un ressort étalonné) centré sur la porte montre qu'une force beaucoup plus faible - à peine 70 gf ! - suffit pour faire bouger la porte.

Conclusion :
la petite variation du volume abdominal ou thoracique du sujet-psi, variation pourtant vraiment très faible que nous avons prise ici comme exemple chiffré, suffit largement pour faire claquer la porte dans l'encoignure par augmentation de la pression de l'air exercée sur cette porte.

J'ai expliqué cela au candidat (dont la taille de... 1,97 m, bien visible sur la première photo présentée au début de cet article, vous donnera une idée de la large valeur possible pour la variation de son volume thoracique et abdominal lorsqu'il contracte ses muscles) après sa prestation et l'effet "pseudo-PK" a d'ailleurs été reproduit immédiatement par un collaborateur du laboratoire, Jean-Pierre Cavelan, puis par moi-même.
Confirmation si nécessaire de l'origine de l'effet : lorsque le candidat était placé à la même distance de la porte mais que celle-ci, au lieu d'être quasi fermée (poussée dans l'encoignure), était ouverte à 90° (et donc que le volume accessible était un volume beaucoup plus grand) aucun mouvement ne se produisait et le film vidéo que nous faisions de l'expérience en a témoigné clairement.

En fait, très peu de temps avant le test, alors que la date était déjà fixée, M. Tomic nous disait qu'il fallait que la pièce soit très petite avec une surface de "1 à 3 m2 maximum". Ce qui n'avait pas du tout été précisé au départ puisque, dans le formulaire d'inscription, il était question de "faire bouger une ou plusieurs portes et fenêtres", ce qui excluait dans notre esprit les pièces de la très petite taille demandée ensuite.
En réponse à cette demande d'une pièce extrèmement petite, j'avais d'ailleurs explicité par écrit à M. Tomic une semaine avant le mini-test - et donc sans même savoir qu'il se concentrait en fait en contractant de manière brusque et saccadée ses muscles pectoraux et abdominaux, ce que nous avons uniquement découvert le jour même de l'expérience - que, dans ce cas, "les variations de pression [...] sont alors évidemment quasi automatiques [...] et le phénomène revendiqué perd alors tout son intérêt et ne présente plus rien de paranormal".
Mon don de prémonition sans doute
.


Cette sympathique histoire d'effet myokinétique sur portes et fenêtres, qui avait donc connu son épilogue en mars 2001, a toutefois eu une suite médiatique quelques deux années plus tard.
En effet, une journaliste m'a contacté vers la fin de l'année 2002 pour avoir de l'information sur les différents tests que nous avions menés dans le cadre du « Prix-Défi Broch-Majax-Theodor » de 200.000 Euros (pour plus d'informations sur les candidatures, cf http://sites.unice.fr/site/broch/defi5.html). De fil en aiguille, cela a abouti à la visite au laboratoire de Zététique de l'Université de Nice-Sophia Antipolis d'une équipe de télévision... accompagnée de l'ancien candidat M. Tomic afin qu'il refasse in situ, et pour une émission, ce qu'il avait fait dans le cadre du défi.

C. Tomic se concentre, se "contracte" ; la porte bouge...


Quelque temps plus tard, le 18 mars 2003, tout un chacun a donc pu suivre dans le magazine "Normal, Paranormal", sur la chaîne M6, les quelques courtes minutes (seuls restes d'un tournage de plusieurs heures) présentant le phénomène PK en question (cf. photo ci-dessus) et son explication physique... agrémentée d'une petite démonstration.

Démonstration concrète faite en direct lors de la venue de l'équipe de télévision au laboratoire car mes explications théoriques ne semblaient pas convaincre pleinement la journaliste. J'avais alors improvisé une expérience avec ce que l'on avait sous la main : une petite poubelle cylindrique en plastique que j'ai fermée par un bout de chambre à air maintenue par plusieurs tours de ruban adhésif d'emballage.

 

 La fabrication au laboratoire de Zététique de la... "poubelle psychokinétique"
.

Et la démonstration était prête.
Avec mon poing fermé, en appuyant et relâchant la membrane caoutchouc, je fis varier le volume accessible à l'air de la pièce (la même petite pièce évidemment que celle dans laquelle nous avions fait le test) et donc varier la pression. Laquelle variation de pression se traduisit clairement par un mouvement de la porte suivant exactement mes mouvements sur la membrane. Le tout parfaitement renouvelable à volonté. CQFD.


La journaliste et l'ancien candidat furent ainsi totalement convaincus de l'origine physique et non "psychique" ou "éthérique" des mouvements de la porte et M. Tomic l'exprima clairement - c'est tout à son honneur - devant la caméra.

Tout cela ne prouve pas, bien sûr, que la personne testée n'a strictement aucun pouvoir de psychokinèse mais cela prouve, par contre, qu'il n'est nul besoin de faire appel à la PK pour expliquer le phénomène en question. Et - cf. le début de cet article - l'hypothèse psychokinétique devient donc superflue.



Henri Broch, Cedomir Tomic, Denis Biette : la détente après le test en mars 2001

Qu'il me soit permis d'adresser ici un bonjour amical à Cedomir qui a bien mieux intégré ce qu'est une démarche scientifique que certains parapsychologues. Lesquels s'indigneront et clameront que parce qu'une poubelle (ou une "règle d'écolier" pour un assistant parapsychologue toulousain) est utilisée, cela n'est pas "scientifique"...

Ce que ces parapsychologues et métapsychistes, dont on a pu voir encore récemment les amusantes - et méthodologiquement nulles - expériences (ainsi le 19 janvier 2004, à la TV sur Canal+ dans un magazine Lundi Investigation sur le "Sixième sens" qui ressemblait fort à une argumentation ayant la curieuse forme "La science face au paranormal"), semblent ignorer, c'est que l'on peut, avec du ruban adhésif et des bouts de ficelle, faire des expériences qui, dans une première approche, donnent des résultats tout à fait pertinents pour comprendre un phénomène.

Dans ce magazine "Sixième sens. Science et Paranormal", la réalisatrice Marie-Monique Robin (et - accessoirement ? - co-auteur en 2003 d'un livre éponyme sur le sujet, avec Mario Varvoglis le président de l'association intitulée «Institut Métapsychique International», association intervenant largement dans l'émission et essentiellement connue pour ses... moulages d'ectoplasmes !) laissait entendre doctement qu'il n'existe pas de laboratoire en France travaillant sur ces sujets.
On admirera le savant et très profond travail de documentation que cette émission a dû demander à cette personne pour réussir l'exploit véritablement hors-normes qui consiste, en se renseignant longuement sur le thème du paranormal et de la science, à ne pas réussir à simplement apprendre l'existence du laboratoire de Zététique, le seul laboratoire universitaire français consacré à ces sujets ! (ou encore à ne pas réussir à prendre simplement connaissance du contenu de l'ouvrage "Au Coeur de l'Extra-ordinaire", pourtant disponible depuis plus d'une décennie et qui fait un tour d'horizon complet de la question).
Il suffisait même à cette personne de visionner tout bonnement le travail que quelques-uns de ses propres collègues journalistes avaient fait avant elle (à titre d'exemple, pour parler uniquement d'un des plus récents, le reportage "Capricorne ascendant sceptique" diffusé moultes fois depuis 2002 sur Planète Future) pour avoir cette information et pouvoir ainsi se renseigner un peu (c'est un euphémisme) plus correctement.
La base documentaire évitant de nous ressortir des vieilles lunes largement démystifiées est en effet publiquement disponible depuis de nombreuses années et il est donc particulièrement déplorable de voir étaler de flagrantes contrevérités.

Puis-je me permettre de suggérer qu'il eut été beaucoup plus intéressant que le sujet soit "Le paranormal face à la science" plutôt que le triste inverse qui nous a été montré ?
L'ignorance des rudiments de la méthodologie scientifique et du simple fait que la charge de la preuve appartient à celui qui affirme quelque chose sortant de l'ordinaire (c'est, par exemple, à celui qui affirme que les fantômes existent de démontrer leur existence et non à la science de prouver - ce qui serait une absurdité - leur inexistence) fait froid dans le dos.
Etonnons nous, après cela, que les pseudo-sciences aient encore de beaux jours devant elles et que les mythes (et la désinformation) perdurent...

Je disais donc : ce que ces parapsychologues et métapsychistes semblent ignorer, c'est que l'on peut, avec adhésif et bouts de ficelle, faire des expériences donnant des résultats tout à fait pertinents.
Ce qui compte c'est évidemment la méthode utilisée et non la sophistication de l'appareillage.

Henri BROCH


* Le pascal (Pa) correspond à l'unité S.I. (Système International) de pression et vaut 1 newton par mètre carré. Le newton (N) est l'unité S.I de force et doit être utilisée ; mais, concrètement, cette unité demeure une unité un peu "abstraite" pour beaucoup de personnes et l'expérience montre qu'une bien meilleure mémorisation des valeurs (ce qui ne signifie pas nécessairement compréhension pour un phénomène étudié) est faite si l'on parle en "kilogramme-force", unité certes prohibée (que certains dénoncent comme "unité antique", alors que c'est simplement le poids à Paris du "kilogramme international" ) mais unité auxiliaire beaucoup plus "parlante" au point de vue intensité. En tout cas, à mon avis, beaucoup plus que quelque chose comme ...9,80665 newtons.

 © H. Broch, Laboratoire de Zététique, mars 2004
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