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Nouveaux éléments de la controverse Cook-Peary
concernant la conquête du pôle Nord en 1908-1909
Jacques L. THEODOR
(Novembre 2006)
.
Depuis les publications de mon article (sur le site antarctica.org et sur le présent site du laboratoire de Zététique) le fatras, souvent très partisan, d’informations, d’affirmations, de démentis dont il est parfois malaisé de dégager la vérité historique, s’est quelque peu décanté dans mon esprit. De plus un raid destiné à appuyer la candidature de Peary a eu lieu au printemps 2005.
La nouvelle nous est en effet
parvenue que, le 26
avril 2005, le Britannique Tom Avery et ses quatre compagnons avaient,
depuis
le cap Columbia, atteint le pôle Nord en 36 jours, une
performance. Leur
deuxième objectif était de démontrer
que l’affirmation par Peary, d’avoir
atteint le pôle en 37 jours, devenait dès lors
plausible. Tout en louant leur
exploit sportif, c’est bien évidemment la
tentative de démontrer la
vraisemblance du récit de Peary qui nous
intéresse et qui retient toute notre
attention.
Examinons les éléments « logistiques » de chacune des deux expéditions, repris sous forme d’un tableau. Certains éléments de la colonne « Avery » ont été obtenus du site de leur sponsor (barcapultimatenorth.com/expedition /equipment.php)
.
PEARY |
ELEMENTS
|
AVERY |
6 personnes |
EQUIPE |
5 personnes |
40 |
CHIENS |
16 |
Inuit |
TRAINEAUX : type |
Inuit |
53 Peary et 43 Henson |
AGE |
28-29-29-32 (McNair ?) |
fourrures longues et lourdes |
VÊTEMENTS |
Parkas Goretex ou similaires, légers |
A l’estime ; + 2 mesures : 86°38’ par Marvin et 87°47’ par Bartlett |
NAVIGATION |
G.P.S. Garmin + 300 piles AA A l’estime le jour + GPS le soir |
emportée |
NOURRITURE |
quatre ravitaillements |
aller et retour 1530 km + détours |
DISTANCE |
aller 413 nautiques ou 765 km + détours retour
par avion |
retour : moyenne de 57 Km/jour faisant suite à 81 Km/ jour durant 8 jours |
VITESSE |
22,74 Km/jour compte tenu d’une route théorique + 10 % |
igloo : une heure à édifier tempér. intér.: environ 0° C |
LOGEMENT |
tentes : montage 5 min.--temp. environ 10° C de + (sans chauffage) qu’à l’extérieur |
Commentaires :
1° parmi les
éléments les plus importants, j’ai
retenu
les âges, avec une moyenne pour les 4 hommes du groupe Avery
de 29 ans (l’age
de la participante n’est pas mentionné), alors
qu’en 1909, Peary avait 53 ans à
une époque où l’espérance de
vie aux U.S.A. était de 47 ans ; celle-ci
était de 76 ans en 2000. De surcroît Peary
n’avait plus que les deux petits
orteils.
2° Les vêtements,
par leur poids, leur encombrement,
leur confort (les tissus de type Goretex sont perméables
à la transpiration,
mais sont étanches dans l’autre sens)
étaient également très
différents, alors
que dans ce genre d’expédition, même le
plus infime détail compte. De plus il
semble que les fourrures, du fait de leur préparation moins
affinée au début du
siècle passé, étaient encore plus
lourdes que maintenant.
3° La nature du logement
avait une incidence sur le
temps pris aux travaux d’étape. Deux personnes
montent une tente en cinq à
huit minutes alors
qu’il faut
environ une heure à deux Inuits pour édifier un
igloo, beaucoup plus confortable,
il est vrai, qu’une tente.
Température sous
tente : gain d’environ 10 ° C
vis-à-vis de l’extérieur. Dans
l’igloo : la température est aux environs
de 0° C, donc un gain important. Ce n’est pas par
hasard que Cook, disposant de
l’aide de deux Inuits, a finalement
préféré l’igloo à
l’utilisation de la tente
spéciale, mais froide, qu’il avait pourtant mise
au point.
Le poids des provisions et
combustibles, emportés pour
une autonomie d’une semaine ou deux par
l’équipe britannique (ravitaillée
quatre fois) devait correspondre à 10 à 15 % du
poids requis pour douze
semaines d’autonomie en 1909.
4° Avery cite la boussole,
la direction du vent,
l’orientation des sastrugis comme aides au maintien du bon
cap. L’équipe Avery
a pu consulter son GPS tous les soirs et a dès lors pu
corriger d’éventuelles
erreurs d’estime qui ne se sont donc pas
accumulées.
5° Le point principal de la
présente controverse est
le retour de Peary à des vitesses parfois triples de celles
de l’équipe Avery.
En voici le détail : le groupe Avery
a parcouru 413 nautiques en 36 jours soit 765 Km auxquels
je n’ajoute
que 10 % (c’est très peu, mais le point G.P.S.
quotidien les maintenait sur la
meilleure route), soit la vitesse déjà plus
qu’honorable de 22,74 Km par
jour. Rappelons que
Peary ne
faisait que 10 Km/jour avant l’épisode du grand
chenal de 1906 et admettait
ajouter 25 % à sa route théorique.
D’autres explorateurs connus ont atteint
entre 9,2 et 21 Km/jour.
Le retour de Peary se serait fait
à la vitesse moyenne
époustouflante de 57 Km/jour.
Peary ne peut pas avoir atteint le pôle Nord.
6° Tout (âge,
poids emporté, G.P.S., 4
ravitaillements, aller simple, etc.) a concouru à ce que
l’équipe Avery
atteigne le pôle Nord en un temps record. Ce qui ne diminue
en rien son mérite.
Mais en tirer argument, comme le fait le team Avery, pour soutenir la
chronologie de Peary et « faire taire quiconque en
doutait et clore le
débat une fois pour toutes »
(sic ; «will silence anyone who
doubted this and put the controversy to rest once and for
all ») n’a rien
d’objectif et l’on peut raisonnablement dire que la
comparaison entre les
conditions très différentes dans lesquelles se
sont déroulés les deux raids, ne
fait que conforter le malaise quant aux prétentions de Peary. Insistons encore sur le
fait essentiel
que le retour du team Avery s’est effectué en
avion. On ne coure pas
un demi marathon à la même vitesse qu’un
marathon complet.
Avery, vu les
particularités de son raid a donc, a
contrario, offert la meilleure des
démonstrations que Peary n’a
pas pu atteindre le pôle Nord et en revenir.
.
Eléments
complémentaires
J’ai reçu grâce à l’amabilité du Dr Claude De Broyer quelques éléments d’information de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, organisme détenteur des archives de la « Belgica » et notamment un ouvrage (The Belgica Expedition Centennial) dont un chapitre, rédigé par Bryce, qui descend Cook en flammes
Bryce y écrit parmi d’autres que le récit de Cook sur l’Arctique, inspiré de ce qu’il a vu en Antarctique, à bord de la Belgica, est si convaincant que des gens qui n’ont jamais vu un morceau de glace polaire (« who have never seen a piece of polar ice ») gardent leur foi en lui. Ce commentaire est assez piquant de la part d’un « junior college librarian » (assistant bibliothécaire de faculté) qui, pour remarquable qu’ait été sa compilation, n’a, au mieux de ma connaissance, jamais été au pôle Nord et n’a jamais, ni de près ni de loin, vu la banquise arctique.
La remarque de Sir Wally Herbert
concernant les
« explorateurs en
fauteuils » n’en est que plus pertinente.
C. De Broyer a bien voulu me
laisser faire une copie
de la lettre –reproduite ci-dessous-
de candidature d’Amundsen à de
Gerlache, commandant l’expédition de la
Belgica.
Parti du Cap Svartevoeg
situé sur l’île de Axel
Heiberg, Cook avait sur Peary l’énorme avantage de
voir l’aiguille de sa
boussole pointer vers le sud géographique où,
à cette époque se trouvait le
pôle Nord Magnétique
(PNM). De
plus Cook, devait connaître les observations
d’Amundsen qui en 1904 avait
relevé la position du PNM, légèrement
au nord de celle relevée sur la côte
ouest de la presqu’île de Boothia en 1831 par James
Clark Ross (neveu de John
Ross).
On sait maintenant que le PNM se
déplace d’environ 10
Km par an ; également que ce pôle est
« baladeur ». Ainsi sur
une journée il peut se déplacer au sein
d’une ellipse de 80
Km de longueur.
Incidemment, il convient de bien
distinguer les quatre
pôles :
* le pôle Nord
géographique (90°N, le point de
rencontre des méridiens),
* le pôle Nord
Magnétique (point supputé pour 2005,
82°70’N
et 114°40’W selon le Woods Hole Marine Magnetism
Group),
* le pôle Nord Géomagnétique (78°30’N et 69°W un peu au nord de Siorapaluk , qui avec ses quelques dizaines d’habitants est l’endroit habité le plus au nord de la planète, mais d’où j’ai néanmoins pu envoyer une carte postale) et enfin
* le pôle Nord
d’inaccessibilité (84°03’N et
174°51’W)
qui est le point de l’océan Arctique le plus
éloigné de toute côte et donc le
plus ardu à avoir été atteint,
notamment par Wally Herbert.
J’ai
été extrêmement choqué de
constater le bas niveau
et le caractère très partisan des critiques, de
même que les diffamations tous
azimuts. Cook est accusé d’avoir par son livre de
1911, créé un tournant dans
la littérature anti Peary et anti Henson, alors que
l’initiateur de cette
situation est bien entendu Peary lui-même avec ses deux
phrases assassines du 8
septembre 1909. C’eut été une
interversion de la cause et de l’effet.
Par exemple, la validité
de la preuve par l’ombre
projetée apportée par Peary n’est pas
contestée par ses partisans, alors que la
même preuve apportée par Cook est
rejetée. Toute la controverse est truffée de
l’utilisation du double standard.
Quelque cent ans après,
le ton n’a pas changé. Les
partisans de Peary ne désarment pas. Bryce est
taxé de racisme vis-à-vis
d’Henson, afro-américain.
Sir
Wally Herbert dont la biographie ne laisse aucun doute quant
à ses capacités,
est tourné en dérision en le comparant
(« little
Wally » , 1,57 m) à Henson,
« un vrai
homme » (sic) de 1,83 m.
Un
peu comme si Marc Batard (1,60 m. et 55 Kg) qui, fait remerquable, a
atteint le
sommet de l’Everest en 1988 et en 1990 sans
oxygène et un temps record méritait
moins de considération.
Incidemment Marc Batard
était avec nous au pôle Nord
en 1997 pour tester sa pulka-tente-embarcation en forme
d’obus. Laquelle a été
bien utile lorsque notre camarade russe Sergueï Pankevitch a
percé la glace en
formation et est
tombé à l’eau
avec son traîneau à chiens.
Mais heureusement la
réputation de mystificateur, dont
Peary a réussi à habiller Cook, a subi une
sérieuse correction depuis une
douzaine d’années. Peary avait accusé
Cook d’escroquerie pour avoir prétendu
avoir atteint le sommet du Mont Mac Kinley en 1906.
Un témoignage négatif,
acheté, avait été produit par Peary
(voir mon premier article). Le doute avait dès lors
été instillé dans les
esprits quant à la véracité des
récits postérieurs de Cook et notamment celui
concernant sa conquête du Pôle Nord en 1908.
Ted Heckathorn qui a
dirigé l’expédition de 1994 au
Mont Mac Kinley a suivi la voie empruntée par Cook et a
confirmé les
particularités de l’itinéraire vers le
sommet ainsi que Cook les avait décrits.
Matvey Shapiro a dirigé
l’expédition russe de 2002
également au Mont Mac Kinley.
Celle-ci comportait onze grimpeurs dont deux, qui dans la
vie courante,
se déplacaient en fauteuil roulant. Pour Cook, en parfaite
forme, cette
ascension, sans n’être qu’une
formalité, ne devait pas présenter de
difficulté
insurmontable.La voie (Traleika Col Route), que Cook avait suivie un
siècle
auparavant, leur a permis d’identifier l’endroit
où Cook avait édifié un igloo
et celui où il avait creusé un abri dans la neige.
In fine, tous deux, Cook et Peary,
avaient la capacité
intellectuelle, la volonté et le courage
d’accomplir l’aller et retour du pôle
Nord. Cook avait d’importants atouts en plus : son
âge de même que la
légèreté et la mise au point
personnelle et fine de son équipement. Tous deux,
de même que Shackleton, Scott (malgré
l’échec de ces deux derniers), Nansen et
Amundsen ont été des géants de
l’exploration polaire de l’époque.
A ce propos, Roald Amundsen,
découvreur du pôle Sud et
qui avait participé avec Cook au premier hivernage
antarctique et au sauvetage
de la « Belgica », avait une
indéfectible amitié pour Cook dont il a
dit : « Il est
l’homme le plus remarquable que j’aie jamais
rencontré. Je
ne ferais confiance
à personne comme je lui fais confiance ».
Je regrette personnellement
d’avoir malgré tout été
influencé négativement par les effets de
l’énorme machinerie de désinformation
mise en place tant par Peary lui-même que par ses supporters
et une bonne
partie de l’establishment dont il était partie
intégrante. Mais comme le dit le
dicton populaire : « Mentez,
mentez, il en restera toujours
quelque chose ».
Si Peary n’avait pas
démarré les hostilités par une
diffamation caractérisée, le récit de
Cook, explorateur compétent et courageux,
et à la sympathique personnalité, aurait
été accepté sans
hésitation, car il ne
comportait rien d’invraisemblable.
A-t-il atteint le
Pôle ? Dans ce domaine du
probable, il est difficile de trancher entre le presque
certain et l’absolument certain, par
manque de preuves matérielles indiscutables. La
personnalité de Cook et sa
compétence me font pencher vers la certitude. Si le
commandant Peary n’avait
pas entamé sa méprisable campagne de
dénigrement, personne n’aurait mis en
doute le récit du Dr Frederick A. Cook.
Par contre, le récit de Peary n’est
absolument pas crédible.
Wally Herbert aurait donc bien
été le premier à avoir
de façon certaine atteint
le pôle
Nord en traîneau à chiens au cours des 16 mois de
son raid Alaska-Spitzberg.
L’exploit physique du raid de Cook de même que son
hivernage au Cap Sparbo me
suggèrent de les classer ex-aequo.
Car,
comme l’aurait dit Pierre de Coubertin initiateur des Jeux
Olympiques modernes « L’important,
c’est de participer »
J.-L. T.
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