La validité scientifique de l'homéopathie en question : quelques réflexions critiques
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Dr. Jacques THEODOR


 Notre laboratoire a reçu le 1er septembre 2003 un message d'un lecteur L. faisant une critique de l'article rédigé par notre collègue Jacques Theodor concernant "La validité scientifique de l'homéopathie." Nous avons pensé qu'il serait intéressant de reproduire la réponse du Dr. J. Theodor qui est précédée ci-dessous par l'essentiel de la critique du lecteur L :

Ce correspondant, qui se reconnait incompétent dans les domaines autres que sa spécialité (mathématiques) est intéressé par le concept de J. Benveniste de la "mémoire de l'eau". Il a cherché à en savoir plus et a consulté un ami homéopathe ainsi que le réseau internet. Choqué par le caractère d'autorité des affirmations des deux camps, il est tombé sur une publication (donnant des résultats positifs) d'une "équipe censée contenir des gens favorables, défavorables et neutres".
L'article de J. Theodor lui paraît "non-scientifique et partisan", et il résume son jugement : "en fait, cet article de Theodor m'a beaucoup déçu". Et il arrive à la conclusion suivante "Concernant l'homéopathie, le phénomène semble n'être ni constaté, ni infirmé. Il me semble que c'est la seule vérité scientifique actuelle". Le correspondant reproche à Jacques Theodor d'avoir fait de l'ironie concernant le test de l'aspirine et taxe d' "erreur logique importante" un paragraphe mentionnant le cyanure de potassium et termine par la phrase "...l'article se contente de dire que les résultats des expériences dépend de si le laboratoire est a priori favorable ou opposant à l'homéopathie, ce qui montre que l'on est en dehors du monde scientifique. C'est triste."

Voici la teneur [les éléments d'identification de L. ont été supprimés] du message de J. Theodor envoyé en réponse au commentaire du mathématicien L.

 

Fax de Jacques L. THEODOR à Monsieur L.
Le 22 septembre 2003

Monsieur,

Le Professeur Broch m'a transmis en son temps votre e-mail du 29 août auquel je réponds de Bruxelles où je séjourne momentanément. Je reviens mardi vers Nice.
J'ai pris note de vos critiques concernant le manque de "références scientifiques claires". Elles auraient un caractère de pertinence si l'article en question avait été une publication scientifique. Encore que dans ce dernier cas, j'aurais su avoir affaire à des scientifiques compétents, c'est-à-dire informés. Ce qui de votre propre aveu n'est pas votre cas.
Il s'agit ici d'un article d'information destiné au grand public, mais dont le contenu s'est néanmoins voulu justiciable de la rigueur scientifique.
Je souhaiterais que vous ne perdiez pas de vue que notre attitude vis-à-vis des pseudosciences comme vis-à-vis des pseudothérapies se définit en vertu du principe, qui régit tout acquis dans le domaine du savoir, que "le revendicateur a la charge de la preuve".
Ceci étant posé passons à la critique de mes analyses, auxquelles je vous prie de vous reporter.
[les numéros des paragraphes qui suivent correspondent aux numéros des paragraphes du texte d'origine de J.T.]

1° Analyse de la similitude.
Il y a probablement plusieurs millions de publications qui confortent le principe selon lequel la médecine scientifique ou "classique", ne fonctionne pas selon le principe dit de similitude, et que ce dernier lui est entièrement étranger. Enfin rien de sérieux n'étaye la théorie de la similitude, qui notamment confond symptômes et pathologie.

2° La préparation des dilutions
Un enfant de 14 ans avec les bases d'arithmétique du secondaire peut facilement refaire les calculs liés aux dilutions.
Prenons la dilution dite à 9CH.
Pensez-vous sincèrement et après quelques secondes de réflexion, que des granules sur lesquelles on aurait atomisé quelques microgouttes (le modus operandi homéopathique normal) d'une dilution du type "Lac Léman", puissent avoir un effet curatif ou préventif quelconque sur la pathologie d'un individu ? Evidemment non.
Les trois dernières lignes du dernier des 9 paragraphes sous intitulé "La préparation des dilutions" expriment ce point de vue avec force.

3° La dynamisation
Je vous ferai aimablement remarquer que, à l'inverse de certaines de mes autres analyses, celle-ci est appréciable non par le simple sens commun, mais par une expérimentation domestique simple : la dynamisation de l'aspirine (critiquée par vous).
Si comme le veut le principe, admis même par les homéopathes, que plus on dilue une solution, moins il y a de possibilité d'activité biologique, on devrait à 9CH (le Lac) se retrouver avec un effet nul.
Interviendrait ici la dynamisation (en secouant le récipient) qui, on se demande comment, restitue à l'eau l'activité perdue du fait de la dilution. Cette proposition, originale et insolite, ne peut paraître que farfelue si elle n'est pas soutenue par un minimum théorique et/ou expérimental.

4° La mémoire de l'eau
Celle-ci, je le répète, est une spéculation qui n'a jamais été affirmée que par des laboratoires de la mouvance homéopathique. Aucun laboratoire de quelqu'importance, mais n'appartenant pas à cette mouvance, n'a su ou pu reproduire les résultats insolites revendiqués.
De surcroît, rien en chimie physique ne suggère qu'une mémoire de l'eau puisse exister au delà de 10 exposant (-13) seconde.
Votre référence ne peut que faire sourire car Belon, Ste Laudy et Roberfroid sont complètement inféodés aux dogmes homéopathiques. Et pour cause.
Le Dr Philippe Belon était responsable de recherches aux Laboratoires Boiron (une des plus importantes firmes homéopathiques mondiales).
Le Dr Jean Ste Laudy et le Dr Jacques Benveniste étaient administrateurs de la même société Yris, productrice d'un système destiné à tester les produits homéopathiques vis-à-vis de l'allergie. Quant au professeur Roberfroid, il a toujours été un chaud partisan du système homéopathique et souvent co-signataire de ce type de publication.

5 ° La mémoire du sucre
Sans réponse et sans commentaire.

6° Le problème des récepteurs
Je n'ai pas connaissance que ce problème ait jamais été soulevé par les tenants de, ou par les opposants à, ce système. Et il ne semble pas qu'il y ait d'autre voie que celle de la spécificité moléculaire et des récepteurs appropriés.

7° Identification
Pour mémoire. Incidemment j'ai eu connaissance par un biologiste moléculaire et immunologiste connu, que ce dernier avait été sollicité par un homéopathe belge (le Dr Jenaer, connu par son ouvrage soulignant que ses travaux permettaient d'envisager le traitement du cancer et du sida par thérapie homéopathique) afin de savoir si le médicament homéopathique hautement dilué était identifiable et dosable. Il n'a pu lui être répondu que par la négative.

8° Effets bénéfiques
Admettre que les seuls effets bénéfiques seraient justiciables de la conformation de la molécule du médicament, à l'exclusion des effets nocifs est une absurdité de plus.

9° Le rapport signal/bruit
Demandez à votre ami homéopathe, de vous procurer le catalogue Merck et celui de Dolisos. Vous pourrez ainsi vérifier l'existence des impuretés de l'eau (quasiment toutes des médicaments homéopathiques) dont l'accumulation du bruit chimique dépasse le signal chimique du médicament dans les hautes dilutions.

Si j'ai utilisé l'exemple du rhume, du lac et celui de l'aspirine, c'est que mon propos était didactique, et non ironisant. Apparemment je n'ai pas été compris.

Concernant la dynamisation du cyanure : vous me reprochez une "erreur logique importante". Or bien au contraire, ma logique est implacable. En voici le cheminement.
*** La haute dilution diminue, voire efface totalement, les potentialités curatives et nocives de la molécule. Même les homéopathes l'admettent.
*** Selon les homéopathes, la dynamisation par secouement (dite "succussion") de la dilution restitue(rait) les potentialités curatives.
*** Nous pouvons nous demander au nom de quel nouveau principe miraculeux les seules vertus curatives seraient restituées et non les particularités nocives ; les deux étant régies par la conformation spécifique de la molécule concernée.

Je vous concède que les points 1, 3, 4, et 6 requièrent des informations que comme mathématicien, il est possible que vous ne possédiez pas. Par contre les points 2, 5, 7, 8, et 9 peuvent être évalués par le sens des proportions, le simple sens commun.


Je considère que le système homéopathique n'est qu'une matriochka d'hypothèses, de spéculations qui se sont créées à fur et à mesure de l'impossibilité d'expliquer l'hypothèse précédente.
Encore que plusieurs points n'aient pas été soulevés avant la parution de l'article en question dont vous dites que le site l'hébergeant aurait du être au "dessus de toute polémique et qu'il adopte une attitude scientifique".

Je ne me suis pas voulu polémique, mais bien un auteur critique. La "théorie" homéopathique n'est pas non-scientifique, mais elle est bien anti-scientifique, parce qu'elle contrevient a priori à trop de lois, de théories bien établies dans le corpus du savoir.
A la limite, point n'est besoin d'expérimenter ad nauseam pour démontrer des théories indémontrables. La science a des acquis dont certains sont solidement établis.
On ne peut demander au chercheur de descendre constamment de l'autobus du savoir et de se remettre à courir derrière.
L'homéopathie date de 1790-1800. Depuis lors, rien de sérieux et de répétable n'est jamais venu combler le néant théorique et expérimental de ce système.

Ne me faites pas dire que l'homéopathie (totalement inefficace biochimiquement) est totalement inefficace médicalement et devrait être rayée des pratiques autorisées. Je ne l'ai jamais dit et je ne le dirai pas. Mais ceci est un autre débat.

Cordialement à vous.

Dr. J. L. Theodor

P.S. : Sont, à ce jour, demeurés sans réponse ni accusé de réception de la part de L. : un courrier électronique de Henri Broch du 2/09/2003 et le fax (copie ci-dessus) de Jacques Theodor du 22/09/2003