Henri Broch, Université Côte d'Azur, mai 2020

Notule


Paludisme, Artemisia annua 
et Cie


Pr. Henri BROCH
Physicien,
Docteur de spécialité en Mécanique Quantique, Docteur d'Etat ès Sciences

Professeur émérite, Université Côte d'Azur



Afin d'éviter toute mauvaise interprétation qui pourrait être faite de mon propos dans cette notule, j'ai précisé d'emblée ci-dessus ma fonction et mes titres pour bien indiquer que je ne suis pas médecin.

Suite à la demande d'un ami belge à l'été 2019 qui désirait avoir quelques informations sur des tisanes prônées par La Maison de l'Artemisia, tisanes essentiellement à base d'Artemisia annua (armoise annuelle) et destinées à combattre le paludisme, et à des demandes quasi équivalentes émises quelque mois plus tard par deux autres personnes, j'ai pensé qu'il pourrait être utile de mettre à disposition publique les informations recueillies à l'occasion de mes réponses à ces demandes.

En condensé, voici le résultat de mes recherches de données scientifiques sur cette thématique et ce qui, à mon avis, se dégage avec un consensus bien établi : le paludisme ne pourra en aucun cas être vaincu par l'utilisation de ces tisanes, leur thérapie n'étant pas - au mieux - une bonne solution et pouvant même - au pire - être une source de complications dans la lutte contre ce fléau.

        Quelques informations...

Les Artémisinines (molécules de la famille de l'Artemisinine extraite de l'Artemisia annua, nommées ARTs) sont les antipaludiques les plus puissants et efficaces à l'heure actuelle (les dérivés de la quinine classiquement utilisés ayant perdu une partie de leur efficacité car des parasites sont devenus résistants à ce type de molécules) et doivent être utilisées en "partenariat" avec d'autres molécules pour former des combinaisons thérapeutiques (nommés dans la littérature "ACTs", Artemisinin-based Combination Therapies) et ne devraient jamais être proposées en monothérapie.

        Pourquoi ?

- Parce que les Artemisinines sont des molécules dont l'élimination est très rapide. La demi-vie (c'est-à-dire le temps au bout duquel la concentration moléculaire a été réduite de moitié) des ARTs est en effet limitée à quelques heures alors que la molécule que l'on va leur adjoindre peut, elle, possèder une demi-vie de plusieurs jours ou même plusieurs semaines.

- L'intérêt fondamental d'administrer une "combinaison" est que les parasites restants, après (et malgré) l'action de l'ART (qui, donc, chute rapidement), se retrouvent ainsi tout de même sous la pression de la molécule partenaire qui, elle, est toujours active (même si elle est moins puissante que l'ART). Le but étant de limiter le plus possible le nombre de parasites survivants (qui auraient pu développer une résistance à l'ART). Le choix de la molécule partenaire est donc basé, bien sûr, sur l'absence de résistance des parasites à cette molécule mais également sur les propriétés pharmacocinétiques de cette dernière (en particulier une demi-vie longue).

- Un autre paramètre important du choix de la molécule partenaire à intégrer dans les combinaisons thérapeutiques à base d'Artemisinine est son mode d'action, le but étant ici d'avoir un mode d'action différent de celui de l'Artemisinine et de cibler également, si possible, les parasites quiescents c'est-à-dire ceux qui sont capables d'entrer en quiescence - en repos - puis de reprendre leur cycle cellulaire après la disparition des ARTs. Le contrôle de la quiescence doit donc être un des objectifs principaux de la lutte contre le paludisme (la capacité de résistance du parasite Plasmodium falciparum aux ARTs lui est conférée par des mutations d'un gène, PfK13, dont le polymorphisme permet toutefois un suivi épidémiologique de la résistance aux ARTs, suivi qui est fondamental pour l'efficacité future de la lutte contre le paludisme).

        Au risque de déplaire un peu plus...

Et de risquer de me trouver en opposition avec des associations dont la démarche semble être motivée par le louable objectif d'éradiquer une maladie qui fait des centaines de milliers de victimes chaque année, je précise que la thérapie sur laquelle portait les demandes qui m'ont été adressées, c'est-à-dire avec des tisanes, infusions de feuilles d'Artemisia annua ou afra, ou bien via des gélules contenant des feuilles et tiges séchées d'Artemisia, implique des dosages de produits actifs totalement aléatoires, pouvant en réalité varier dans des proportions énormes.
De plus, à la lecture des revendications et des publications sur lesquelles tout cela est basé, on remarque :
- le manque total de précision sur le type de molécules actives,
- l'ignorance du dosage précis utilisé (ignorance inhérente bien sûr au mode même d'administration du traitement),
- une confusion polythérapie / simple synergie (contrairement à ce que les membres de l'association écrivent, leur thérapie ne constitue pas réellement une polythérapie car le principe de base d'une polythérapie est que les différents composants doivent avoir des cibles pharmacologiques non reliées entre elles et ne pas être simplement des molécules agissant en synergie),
- la non-différenciation au niveau des malades entre guérison et rémission ou rechute et ré-infection,
- la non-détermination du pourcentage de souches résistantes,...

        Donc, pour conclure...

Sachant que la question de l'éradication du paludisme est un sujet vraiment très prégnant, il paraît important de faire savoir que, au vu des connaissances actuelles, ce fléau ne pourra en aucun cas être vaincu avec les tisanes prônées par La Maison de l'Artemisia, leur thérapie n'apparaissant pas comme une solution adéquate et pouvant même être malheureusement un vecteur potentiel d'apparition de souches de Plasmodium falciparum résistantes. Ce qui serait bien sûr d'une gravité extrème car, en l'état actuel, il n'y a aucune autre molécule susceptible de pouvoir remplacer l'Artémisinine.
C'est pourquoi on ne peut qu'être particulièrement étonné que certains puissent soutenir de telles préparations tisanières qu'ils diffusent urbi et orbi et, malheureusement, avec un relais médiatique important.

Pr. Henri BROCH


PS. :
Le Professeur Marc Gentilini, membre de l'Académie de médecine et spécialiste des maladies tropicales et infectieuses, m'a confirmé la position de l'Académie qui est inquiète des dangers de l’utilisation des feuilles séchées d’Artemisia et met en garde vis-à-vis des recommandations "scientifiquement incertaines et irresponsables" de campagnes organisées par "des gens peut-être bien intentionnés mais totalement incompétents en paludologie".


Henri Broch, Université Côte d'Azur, mai 2020


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